En Haïti, le très attendu conseil présidentiel de transition a officiellement été créé vendredi 12 avril, après des semaines de négociations tendues et un mois après l’annonce de la démission du Premier ministre contesté, Ariel Henry. Ses membres devront nommer « rapidement » un Premier ministre ainsi qu’un gouvernement « inclusif ». Le temps presse alors que Port-au-Prince est en grande partie contrôlée par les gangs. Entretien avec Jean-Marie Théodat, maître de conférences en géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
RFI : Pensez-vous que le conseil présidentiel de transition aura les moyens de rétablir la sécurité à Port-au-Prince ?
Jean-Marie Théodat : Je suis sceptique. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire un procès sans appel à ce conseil présidentiel de transition. Mais compte tenu que beaucoup de personnalités présentes ont été impliquées dans la descente aux enfers de ce pays depuis les 20 ou 30 dernières années, il est permis d’être sceptique. Donc nous n’allons pas leur signer un blanc-seing, mais les juger sur pièces, attendre surtout les résultats que nous aurons sur la question de l’insécurité, qui est le principal sujet de tourment des Haïtiens aujourd’hui. Suite à ce décret sur le conseil, ce que je voudrais, c’est surtout que l’on nous dise avec quels moyens nous allons mettre fin à la violence des gangsters, parce que c’est le plus important.
Où est-ce que le conseil présidentiel de transition pourrait se réunir avec cette situation sécuritaire ?
Eux-mêmes ne le savent pas et je pense que, à l’heure où les réunions se font le plus souvent par Zoom ou par téléphone, ils s’imaginent pouvoir diriger le pays à distance, alors qu’il faudrait à un moment donné ou à un autre mettre la main dans le cambouis. Il va falloir battre le pavé et montrer à la population qu’eux-mêmes sont confiants dans l’appareil de sécurité. C’est-à-dire que tant que l’État n’aura pas rétabli son monopole de la violence légitime, on ne pourra pas parler de sécurité publique, on ne pourra pas parler de gouvernement, on ne pourra parler d’élections. C’est vraiment le nœud gordien de la crise actuelle en Haïti.
Dans ces conditions, comment envisagez-vous la nomination d’un Premier ministre par ce conseil ?
Je pense que, dans la situation actuelle en Haïti, un tel Premier ministre aurait dû s’imposer de façon tacite. On ne devrait pas avoir à trier parmi des noms plus ou moins connus pour trouver une solution. C’est dire que personne n’a le charisme suffisant pour s’imposer au reste. D’un point de vue formel, bien sûr, il faut une sanction démocratique, mais le pouvoir, ça saute aux yeux. Le pouvoir, le charisme, la capacité d’un homme ou d’une femme à gérer un pays, à le sortir de l’ornière, d’un trou noir, c’est quelque chose que l’on ne va pas décider autour d’une table. C’est quelque chose que l’on a dans les tripes, que l’on a dans les entrailles. Et, personnellement, je ne vois personne autour de cette table capable de porter cette casquette.