Vingt-quatre heures après l’intervention du ministre de l’Économie et des Finances, Wilson Laleau, pour défendre le budget 2015-2016, le sénateur Jocelerme Privert, président de la commission Économie et Finances à la Chambre haute, a lui aussi effectué une sortie médiatique, ce mercredi 21 octobre 2015, dans laquelle il prend le contre-pied des explications du grand Argentier de la République. Selon le sénateur des Nippes, les anomalies relevées dans ce texte sont légion.
« Le texte du budget viole la Constitution et la Déclaration des droits humains », déclare d’entrée de jeu le sénateur Privert ,qui était invité ce mercredi à l’émission Panel Magik sur les ondes de Magik 9. Afin d’étayer ses dires, le parlementaire s’est livré à un ensemble de considérations juridiques sur le texte qui est entré en vigueur à partir du 1er octobre dernier.
Ce dernier est catégorique : « On ne peut pas qualifier ce texte de budget. » Car, selon lui, s’il n’y a pas de loi de finances, il n’y pas lieu de parler de budget. Puisque la loi de finances est définie comme l’acte législatif qui prévoit et autorise les recettes et dépenses de l’État pour un exercice donné et que, par conséquent, le budget, c’est l’acte comptable qui décrit cette loi de finances.
Pour le législateur, le texte en question viole respectivement les articles 111-2 de la Constitution et 14 de la Déclaratiion universelle des droits humains. Ces deux articles, selon le sénateur, confirment le 7e préambule de la Constitution qui stipule que les grandes décisions engageant la vie nationale doivent être l’objet de consultation et de participation.
L’article 111-2 auquel fait référence Jocelerme Privert s’énonce ainsi : « Les lois de finances instituant les impôts, augmentant les charges et les dépenses de l’État, l’initiative appartient à l’exécutif […] les projets formés à cet égard doivent être votés d’abord par la Chambre des députés. » Et l’article 14 des droits humains dit que les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, et à travers ses représentants de suivre l’emploi […].
« Le gouvernement est à 3 mois de la fin de son mandat, comment peut-il valablement prévoir les grandes orientations du nouveau gouvernement à venir ? », s’interroge, médusé, le sénateur des Nippes, qui estime qu’il y a une tendance au sein de ce gouvernement à la prolifération des fonds hors budget.
En matière de finance publique, explique ce dernier, la règle générale, c’est l’universalité du budget qui veut que l’ensemble des recettes couvrent l’ensemble des dépenses et que certaines d’entre elles ne soient pas affectées à des dépenses particulières. Or, si dans certains cas certaines dérogations sont admises, « aujourd’hui, on a tendance à transformer la dérogation en règle », se désole Jocelerme Privert, qui identifie pas moins de 8 fonds hors budget dans le système financier public. Il s’agit du Fonds de développement industriel (FDI), du Fonds d’investissement public (FIP) qui siège au MPCE, du Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), du Fonds de gestion des collectivités, du Fonds d’entretien routier (FER), de la Caisse d’assistance sociale et du Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD).
« Ce sont des personnes morales qui reçoivent des ressources et les consacrent à des projets donnés », informe le sénateur.
Par ailleurs, Jocelerme Privert dénonce le fait qu’à travers ce budget, on est en train de multiplier ces fonds hors budget. Cette multiplication, selon lui, permet que des sommes importantes échappent au contrôle du Parlement. Il cite, à titre d’exemple, le Fonds national d’éducation (FNE) qui, pendant ces 4 dernières années, n’existe pas. Car aucune loi ne l’a créé. « Le Sénat n’a jamais reçu aucun rapport quant à l’utilisation des ressources collectées au nom du FNE », a-t-il signalé.
Un Fonds de développement touristique a nouvellement été créé à hauteur de 50 millions de gourdes, a-t-il fait savoir, et ce fonds vient de passer à 80 millions de gourdes dans ce budget grâce à des fonds perçus par la douane au niveau de l’aéroport et versés dans un panier. « Mais qui gère ce panier ? », s’interroge un Jocelerme Privert dépassé qui constate, une fois de plus, qu’aucune loi n’a créé ce fonds.
En outre, le sénateur Privert note qu’à travers ce budget, le ministre de l’Économie et des Finances, Wilson Laleau, a annoncé la création d’un Fonds de solidarité inter-haïtienne et qu’un arrêté présidentiel viendra fixer son mode de fonctionnement. « Un arrêté n’est pas une loi », précise le sénateur de la République, qui prend à témoin le décret du 17 mai 2005 sur l’administration publique qui, selon lui, est formel : « ces Fonds devraient faire l’objet d’une loi. »
À fond dans l’analyse du texte, qui n’a pas été voté par le Parlement, Jocelerme Privert relate que ce texte qui a été publié démontre un manque de transparence dans la gestion du système fiscal haïtien. « Certains frais perçus par différentes entités ne sont pas inscrits au budget », dénonce-t-il faisant référence aux 7 impôts qui ont subi des modifications dans ce budget, à savoir la patente, l’impôt sur le revenu, la CFPB, le droit de fermage, le droit de passeport, la carte d’identité, le permis de conduire. Le taux d’imposition de tous ces droits a augmenté.
S’arrêtant un instant sur le cas du droit de passeport, qui vient de passer à 3 000 gourdes, Jocelerme Privert signale que, dans le code fiscal, la loi qui y est inscrite fixe ce droit à 600 gourdes. « Vous voulez modifier le droit de passeport, vous adoptez une nouvelle loi. Pourquoi utiliser la loi de finances d’année en année pour modifier le droit de passeport? », s’interroge le sénateur, qui avoue son impuissance à comprendre la logique de l’exécutif.
Entre autres anomalies relevées par le parlementaire, l’exécutif qui, ces deux dernières années, ne cesse de réduire les investissements publics pour financer son fonctionnement. « Pour les exercices 2010-2011 et 2011-2012, 66% du budget était consacré à l’investissement contre 34% pour les crédits de fonctionnement alors que, pour le présent exercice, 46% du budget est dédié aux investissements publics globaux contre 54% alloué aux crédits de fonctionnement », rapporte le sénateur Privert, le texte du budget en main.
Pour le sénateur, il est clair qu’avec une telle utilisation du budget, le souhait du gouvernement pour qu’Haïti devienne un pays émergent à l’horizon de 2030 est encore un vœu pieu. Patrick STPRE le nouvelliste