
Un carnaval au goût amer. Haïti ne danse plus, elle titube sous le poids d’une gouvernance qui maquille son échec en fête populaire, croyant que quelques jours d’euphorie suffiront à faire oublier des années de trahison
Alors que Transparency International dresse un tableau accablant d’Haïti, révélant une corruption enracinée à chaque échelon du pouvoir, les dirigeants, insensibles au naufrage national, préfèrent enfouir la réalité sous les paillettes d’un carnaval fastueux. La musique résonnera, les chars défileront, les masques tomberont peut-être, mais la vérité, elle, demeure implacable : un État gangrené par la malversation, sourd à la détresse de son propre peuple.
Ainsi, sous les confettis et les flonflons, une ironie cruelle se dessine. Un pays classé parmi les plus corrompus du monde choisit de brûler des millions dans une liesse artificielle, ignorant la faim qui creuse les ventres, la peur qui scelle les portes, et l’exil forcé de ceux qui fuient l’impasse. .
Haïti saigne et se vide, ses rues ne résonnent plus du tumulte joyeux des marchés, mais des rafales de balles perdues et des cris étouffés par la peur. Les jours se confondent dans une litanie de souffrances, et l’avenir, incertain, semble se dessiner en pointillés sanglants. Pourtant, dans ce chaos où le pays peine à tenir debout, le gouvernement de Voltaire-Fils Aimé et du ministre de facto de la Culture, Patrick Delatour, s’apprête à jeter dans l’air plus de 300 millions de gourdes pour un carnaval national, comme si la fête pouvait faire oublier la ruine.
À Fort-Liberté, où résonnera la fanfare du carnaval du 2 au 4 mars 2025, des chars colorés défileront sous un soleil indifférent, masquant par leurs éclats la détresse d’un peuple pris au piège. Les slogans officiels, clamant « Haïti Debout ! Ayiti Kanpe ! », sonnent comme une cruelle ironie dans un pays où 80 % de Port-au-Prince est sous la coupe de gangs, où les quartiers entiers sont devenus des « territoires perdus » que même l’État ne prétend plus gouverner.
Tandis que les autorités débloquent 170 millions de gourdes pour illuminer Fort-Liberté de fastes éphémères, des centaines d’Haïtiens continuent de fuir, préférant affronter les vagues capricieuses des Caraïbes que de se voir fauchés par une balle perdue au détour d’une ruelle. Le 10 février 2025, la Garde côtière américaine a intercepté 132 migrants haïtiens, entassés sur une frêle embarcation de fortune, à la dérive entre Cuba et les Bahamas. Ils espéraient toucher la rive de la liberté, mais ont été ramenés à Cap-Haïtien, refoulés comme des âmes errantes à qui l’on refuse l’exil.
Danser sur un volcan : L’indécence du pouvoir face au naufrage d’un peuple
En quoi un carnaval, aussi somptueux soit-il, peut-il redonner espoir à une jeunesse qui n’aspire qu’à fuir ? Comment justifier de telles dépenses quand les hôpitaux manquent de matériel, les écoles ferment sous la menace des gangs, et que la faim creuse les ventres autant que le désespoir creuse les âmes ? Ces millions auraient pu être un rempart contre la misère, un soutien aux déplacés, une main tendue vers un peuple à bout de souffle. Mais au lieu de cela, ils seront engloutis dans une frénésie éphémère, un spectacle orchestré pour masquer l’évidence : Haïti ne danse plus, Haïti vacille.
Pendant que les projecteurs éclaireront les chars décorés, d’autres feux brilleront dans la nuit : ceux des quartiers incendiés par des bandes armées, ceux des lampes vacillantes dans les camps de fortune où s’entassent les déplacés. Car si l’État célèbre, le peuple, lui, survit.
L’histoire jugera ces dirigeants qui ont préféré les masques et la musique au pain et à la sécurité. Elle retiendra qu’alors que le pays sombrait, ils ont choisi d’allumer des feux d’artifice plutôt que d’éteindre les flammes du désespoir.