
L’insécurité en Haïti affecte les enfants haïtiens, c’est ce qu’indique un rapport publié par Amnesty International. Dans ce document intitulé « Je ne suis qu’une enfant, pourquoi cela m’est-il arrivé ? ». Haïti : l’offensive des gangs contre l’enfance, l’organisme international de droits humains fait état des actions des gangs sur le quotidien des plus jeunes.
Dans ce rapport, Amnesty International souligne que dans ce contexte d’insécurité les enfants haïtiens sont victimes de multiples violations de droits humains : recrutement forcé, violences sexuelles, enlèvement, homicide et blessure. Le titre du rapport : « Je ne suis qu’une enfant, pourquoi cela m’est-il arrivé ? » fait référence à l’interrogation d’une adolescente victime de viol collectif après son enlèvement.
Enfance volée
« Les gangs ont provoqué une détresse généralisée en Haïti. Ils menacent, frappent, violent et tuent des enfants. Ils se sont rendu responsables de nombreuses atteintes aux droits humains des enfants, notamment leurs droits à la vie, à l’éducation et le droit de circuler librement. […] Leur enfance leur est volée », a déclaré la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, lors de la publication du rapport, appelant à une mobilisation urgente des autorités haïtiennes et de la communauté internationale.
Le rapport se base sur des observations datant de septembre 2024 de chercheuses de l’organisme de droits humains, qui se sont entretenues avec 112 personnes, dont 53 enfants. Les recherches ont couvert les atteintes aux droits humains et violations des droits humains commises dans huit communes du département de l’Ouest, alors que le nombre d’enfants qui vivent dans les zones contrôlées par les gangs est estimé à plus d’un million.
Les enfants à mobilité réduite ne sont pas épargnés et font face à des « risques accrus » en raison de l’absence de dispositifs d’assistance. Parmi les 53 enfants avec qui les chercheuses se sont entretenues, 11 enfants sont en situation de handicap physique ou psychosocial. Elles ont également fait le constat de l’inaccessibilité de certains sites servant de lieu de refuge aux déplacés, notant des attaques contre une école et un centre de santé prenant en charge des enfants en situation de handicap.
Des violences sexuelles dévastatrices
Le rapport décrit des cas bouleversants de filles enlevées, violées et forcées à entretenir des relations avec des membres de gangs, en particulier à des fins de commerce du sexe. Certaines ont été victimes de viol collectif, d’autres ont dû affronter des grossesses non désirées.
Amnesty International a recueilli des informations sur 18 filles ayant été violées ou ayant subi d’autres formes de violences sexuelles des gangs armés. Certaines ont été agressées à plusieurs reprises. Dix des filles ont été soumises à des viols en réunion, et neuf ont été enlevées.
Des témoignages poignants illustrent cette réalité tragique. Deux sœurs adolescentes ont raconté avoir été violées par cinq et six hommes respectivement après leur enlèvement. « J’y pense et je me dis, je ne suis qu’une enfant, pourquoi cela m’est-il arrivé ? », s’est demandée l’une des adolescentes.
Une autre victime de 17 ans, tombée enceinte après avoir été violée en décembre 2023 à Carrefour-Feuilles, un quartier situé en périphérie de la capitale, Port-au-Prince, attaqué par les bandits de Gran Ravin en 2023, a confié : « Cela m’a détruite… Je n’ai personne pour m’aider avec le bébé ».
Par ailleurs, le système médical haïtien déjà précaire et affaibli par les gangs armés n’arrive pas à faire une prise en charge complète de ces victimes, souligne le rapport. Amnesty International indique dans ce rapport que plusieurs victimes n’avaient pas l’intention de signaler aux autorités les violations dont elles ont été l’objet, en raison de « l’absence de personnel d’application des lois dans les zones contrôlées par les gangs ».
Le recrutement forcé des enfants
Les gangs exploitent également les enfants pour des missions dangereuses : surveillance, livraison, travaux de construction ou même port d’arme. Les enfants n’ont souvent pas le choix, soumis à la peur ou poussés par la faim. « Si j’avais refusé, ils m’auraient tué », a déclaré un garçon de 12 ans aux chercheuses d’Amnety International. Dans certains cas, comme l’affirme le rapport, certains enfants sont frappés et menacés s’ils refusent d’obéir aux ordres.
Le recrutement des enfants dans les groupes armés les expose à des représailles violentes des groupes d’autodéfense, tandis que d’autres se retrouvent en détention arbitraire dans des conditions inhumaines.
« Le gouvernement maintient en détention des dizaines d’enfants, dont de nombreux qui auraient été recrutés et utilisés par des gangs, au même endroit que des détenus adultes, dans un centre de détention surpeuplé qui était initialement destiné à la réinsertion des garçons. Au moment des recherches, aucun des garçons n’avait été déclaré coupable d’une infraction, car le tribunal pour enfants de Port-au-Prince a cessé de fonctionner en 2019 », lit-on dans le rapport.
Des conséquences physiques et psychologiques graves
Les enfants blessés ou qui ont été témoins d’atrocités lors d’affrontements entre gangs paient un lourd tribut. Le rapport rapporte des cas d’enfants touchés par des tirs ou traumatisés par la perte de proches. Une jeune fille de 14 ans blessée par balle a déclaré : « Je ne supporte pas les coups de feu ».
La santé mentale des enfants est sérieusement affectée. Une jeune victime de 13 ans, témoin de la destruction de sa maison et menacée avec sa famille, a raconté: « Je fais des cauchemars, je n’arrive pas à dormir. […] Avant, je n’avais aucun problème pour étudier. Maintenant, c’est difficile ».
Un appel à l’action
Dans les recommandations de ce rapport, Amnesty International appelle la communauté internationale et les autorités haïtiennes à prendre des mesures urgentes pour protéger les enfants et mettre fin à cette violence. « Les enfants associés aux gangs sont avant tout des victimes », avance le rapport.
« Le gouvernement haïtien et les donateurs internationaux doivent collaborer en vue d’élaborer un plan complet et inclusif de protection de l’enfance », a ajouté la secrétaire générale d’Amnesty International.
Mme Callamard a invité les autorités concernées à accorder la priorité aux programmes de démobilisation et de réintégration des enfants, ainsi qu’à une assistance sanitaire et juridique pour les victimes de violences sexuelles. Parallèlement, elle a plaidé pour le contrôle des flux d’armes qui arrivent en Haïti et a réclamé la fin des expulsions forcées vers le pays jusqu’à ce que cesse la terreur des gangs et la crise des droits humains.
Ce rapport d’Amnesty International vient donc relancer le débat sur le traitement du cas des enfants enrôlés dans les gangs et sur la manière dont la crise sécuritaire affecte la vie des enfants. Ce rapport arrive dans un contexte où la Mission
multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), venu prêter main-forte aux forces nationales de sécurité, renforce son effectif.
En novembre 2024, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a indiqué que le nombre d’enfants recrutés par des groupes armés a augmenté de 70% par rapport à l’année 2023. « Les enfants constituent jusqu’à la moitié des groupes armés », avait alerté le rapport de l’UNICEF, soulignant que ces enfants ont été contraints d’intégrer ces groupes criminels afin de subvenir aux besoins de leur famille ou pour garantir leur sécurité.
« Bon nombre d’entre eux sont enrôlés après avoir été séparés des personnes qui s’occupent d’eux, à défaut d’autres solutions pour survivre et bénéficier d’une protection », a indiqué le rapport de l’UNICEF.