Extraits du Rapport 2021 sur la Traite des Personnes : Haïti (Liste de surveillance de la Catégorie 2)
Le gouvernement d’Haïti ne se conforme pas pleinement aux normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, mais il déploie des efforts importants à cet égard, parmi lesquels davantage de poursuites et de condamnations de trafiquants, la mise à jour du Code pénal, la création de sous-comités régionaux de lutte contre la traite des personnes et la poursuite du déploiement d’un programme de cartes d’identité nationales. Toutefois, le gouvernement n’a pas globalement intensifié ses efforts par rapport à la période précédente, même en prenant en compte l’impact documenté de la pandémie de COVID-19 sur ses capacités de lutte contre la traite. L’impunité et la complicité, en particulier dans les affaires très médiatisées, continuaient de poser des problèmes graves. Les autorités ont mené moins d’enquêtes et procédé à moins d’arrestations par rapport à la période précédente ; elles ont également identifié moins de victimes. Le gouvernement n’a pas affecté suffisamment de financements à ses efforts de lutte contre la traite des personnes ou à la prestation de services aux victimes et n’a pas non plus achevé l’élaboration de ses procédures opérationnelles normalisées pour l’identification des victimes. Il n’a pas pris de mesures pour lutter contre le système de servitude domestique des enfants (les restavèks). Haïti a donc été rétrogradé dans la liste de surveillance de la Catégorie 2.
RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES :
Mener des enquêtes judiciaires diligentes sur les trafiquants et poursuivre en justice et condamner fermement ceux-ci, y compris les fonctionnaires qui s’en rendent complices et les personnes responsables de la servitude domestique et de la traite des mineurs à fins sexuelles. • Financer et continuer à mettre en œuvre le plan d’action national de lutte contre la traite des personnes, en particulier le financement de l’aide aux victimes et la création de centres d’accueil pour celles-ci. • Achever et mettre en œuvre les procédures opérationnelles normalisées pour l’identification des victimes. • Former les fonctionnaires de police, les procureurs, les juges et les prestataires de services à des procédures formelles axées sur les victimes et tenant compte des traumatismes qu’elles ont subis, afin de les identifier, de les protéger et de les orienter vers des centres d’accueil et services. • Mettre en œuvre un programme de protection des témoins et former les agents des forces de l’ordre et responsables judiciaires à une approche axée sur les victimes pour prendre en charge les victimes et les témoins de crimes de traite au cours des enquêtes et des procédures judiciaires, notamment pour s’assurer qu’on ne les a pas contraints à témoigner. • Chercher régulièrement à détecter tout indicateur de traite chez le personnel médical cubain et orienter les victimes vers des services adéquats. • Sensibiliser les Haïtiens, à l’aide des réseaux sociaux et médias traditionnels, sur les droits des enfants à la liberté et à l’éducation et interdire la servitude domestique. • Poursuivre le développement du système naissant de placement familial et de soins résidentiels alternatifs pour les enfants en Haïti, et veiller à ce que les orphelinats soient correctement accrédités et enregistrés. • Former davantage d’inspecteurs du travail à reconnaître les indicateurs de la traite, augmenter le nombre d’inspections sur les lieux de travail pour y déceler d’éventuels signes de traite et intensifier la collaboration avec les forces de l’ordre afin de poursuivre les auteurs de traite à des fins d’exploitation par le travail. • Élaborer des lois et des politiques afin de réglementer les recruteurs de main d’œuvre étrangère, s’assurer que des frais de recrutement ne sont pas exigés et sensibiliser les potentiels travailleurs migrants sur leurs droits. • Mettre en œuvre des mesures pour remédier aux situations de vulnérabilité qui conduisent à la servitude domestique, notamment imposer un âge minimum pour les services domestiques et protéger les enfants victimes de négligence, de sévices et de violence. • Déployer pleinement le programme de cartes d’identité nationales.
POURSUITES JUDICIAIRES
Le gouvernement a réduit ses efforts en matière de répression. La loi de 2014 contre la traite des personnes (no CL/20140010) a érigé en infractions la traite à des fins sexuelles et la traite à des fins d’exploitation par le travail, prévoyant des peines allant de sept à quinze ans de prison assortis d’une amende allant de 200 000 à 1,5 million de gourdes haïtiennes (HTG – soit 2 790 à 20 950 dollars É.-U.) ; ces peines étaient suffisamment sévères en ce qui concerne la traite à des fins sexuelles et à la mesure de celles prescrites pour d’autres infractions graves comme le viol. La législation prévoyait par ailleurs un alourdissement des peines allant jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque la victime était mineure.
Les autorités ont ouvert des enquêtes dans trois dossiers de traite au cours de la période visée par le présent rapport, contre neuf dossiers de traite en 2019 et en 2018, et deux en 2017. En 2019, la Brigade de protection des mineurs (BPM), qui relève de la police nationale, avait signalé avoir ouvert des enquêtes dans le cadre d’affaires impliquant 33 prévenus accusés de faits de travail forcé sur des enfants. La Police frontalière terrestre (POLIFRONT), sous l’égide de la Police nationale d’Haïti, et le Comité national de lutte contre la traite des personnes (CNLTP) ont signalé un total de six arrestations au cours de la période visée, contre 51 personnes arrêtées dans 35 dossiers de traite en 2019. Les autorités ont signalé avoir engagé des poursuites dans deux affaires au cours de la période visée, contre une affaire poursuivie en 2019, sept en 2018 et deux en 2017. Elles ont indiqué avoir condamné deux trafiquants au cours de la période visée, contre aucune condamnation en 2019, une en 2018 et trois en 2017. En avril 2020, un tribunal a reconnu coupable et condamné un trafiquant haïtien à une peine de prison de sept ans assortie d’une amende de 15 000 HTG (soit 209 dollars É.-U.) pour avoir exploité un mineur dans le cadre de la traite à des fins sexuelles en République dominicaine. Il y avait au total 21 affaires de traite des personnes en instance devant les tribunaux haïtiens à la fin de la période visée, dont trois ont été ouvertes au cours de cette même période. En février 2021, les autorités ont lancé une enquête sur une affaire potentielle de traite impliquant un total de 23 ressortissantes dominicaines et vénézuéliennes. En août 2020, les autorités à la frontière haïtiano-dominicaine ont arrêté un homme qui voyageait accompagné de cinq enfants avec lesquels il n’avait aucun lien de parenté ; il est soupçonné de traite des personnes. En décembre 2020, la police a arrêté un homme dans un aéroport, accusé de faits de traite sur quatre enfants. À la fin de la période visée, les autorités n’avaient pas encore saisi de juge d’instruction. En juillet 2020, un juge d’instruction a mis en examen deux exploitants d’orphelinat d’une ONG religieuse enregistrée à l’étranger, pour des faits de traite, négligence et association de malfaiteurs, après qu’une enquête a révélé qu’ils utilisaient les enfants pour solliciter des fonds tandis qu’ils prodiguaient à ceux-ci des soins médiocres. L’orphelinat n’était ni enregistré auprès du gouvernement ni accrédité par celui-ci, et les noms des enfants qui s’y trouvaient n’avaient pas été communiqués aux autorités.
En 2020, la BPM a mené 585 enquêtes pour négligence, maltraitance, enlèvement, séquestration, agression (physique et sexuelle) et traite des mineurs, entre autres faits. Elle n’a pas précisé combien de ces enquêtes portaient sur des allégations de traite des mineurs. Avec la coopération de l’Institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBESR), les enquêteurs ont, entre autres, procédé à des visites inopinées et à des fermetures de boîtes de nuit, de résidences et d’orphelinats. La BPM a signalé 424 cas d’infractions pénales impliquant des enfants soumis au travail forcé, à la traite et à des activités illicites, mais n’a pas indiqué précisément le nombre de cas de traite. Au cours de la période visée, l’IBESR, en collaboration avec le Comité national de lutte contre la traite des personnes (CNLTP), une ONG et un donateur étranger, a fait fermer deux orphelinats privés à Croix-des-Bouquets soupçonnés de traite des mineurs et de violences sexuelles.
L’impunité et la complicité dans les affaires de traite très médiatisées restaient des préoccupations majeures. Les autorités n’ont pas signalé d’enquêtes, de poursuites ou de condamnations à l’encontre de hauts responsables pour des faits de complicité de traite des personnes ; cependant, la corruption et la complicité de ces responsables dans le cadre d’infractions de traite ont entravé l’action des forces de l’ordre au cours de l’année. Des observateurs ont signalé que, dans les juridictions frontalières, des responsables judiciaires (juges de paix, entre autres) auraient parfois accepté des pots-de-vin contre la libération d’individus soupçonnés d’être des trafiquants, contribuant ainsi à un environnement dans lequel les trafiquants opéraient globalement dans un climat d’impunité. Les autorités n’ont pris aucune mesure à l’encontre de l’ancien président de la Fédération haïtienne de football au cours de la période visée, lequel a été banni à vie par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et condamné à une amende de 1 million de francs suisses (soit 1,14 million de dollars É.-U.), plus les frais de procédure, pour des faits de viol et de violences sexuelles (notamment de traite à des fins sexuelles dans certains cas) sur 34 femmes, dont au moins 14 filles, entre 2014 et 2020, sur décision de la commission d’éthique de la FIFA, décision qui avait été renvoyée devant le comité d’appel de la FIFA à la fin de la période visée. Au terme de cette même période, les autorités n’avaient pas non plus pris de mesures à l’encontre de dix autres auteurs et complices dans cette affaire, dont le président de la Commission nationale des arbitres haïtiens, que la FIFA a provisoirement suspendu pour 90 jours dans le cadre de l’enquête en cours. Par ailleurs, engager des poursuites contre les fonctionnaires complices était compliqué en raison de l’immunité accordée aux hauts fonctionnaires et de la difficulté à poursuivre en justice ceux des rangs inférieurs. À la fin de la période visée par le présent rapport, un juge d’instruction n’avait procédé à aucune inculpation suite aux deux descentes de police effectuées en août 2020 dans la maison close La Mansion, au cours desquelles les autorités avaient identifié 12 Vénézuéliennes victimes de traite des personnes. D’après les médias, des hauts fonctionnaires de l’État avaient fréquenté cette maison close avant l’opération policière et certaines des personnes impliquées bénéficiaient d’une influence politique. Les autorités ont arrêté le chauffeur du principal trafiquant soupçonné, mais l’ont ensuite relâché. Le juge a émis une interdiction de sortie du territoire à l’encontre de la propriétaire de l’établissement. Le gouvernement n’a pris aucunes mesures pour poursuivre les auteurs dans l’affaire du Kaliko Beach Club de 2017, au cours de laquelle les autorités avaient identifié 31 victimes de traite, parmi lesquelles des enfants. Le Comité national de lutte contre la traite des personnes (CNLTP) a signalé que certains juges n’ont pas expliqué pourquoi ils avaient choisi de ne pas traiter certaines affaires, notamment un dossier dans lequel un juge de paix avait enquêté sur un orphelinat soupçonné de violences sexuelles et de traite à l’encontre de mineurs, mais n’avait pas interrogé les suspects.
D’après les autorités et les ONG, la pandémie a eu relativement peu d’impact sur les efforts de lutte contre la traite des personnes, bien que certains tribunaux aient temporairement fermé et que les mesures de distanciation sociale aient entravé l’inspection des orphelinats. De mars à juillet 2020, les organismes gouvernementaux ont suivi un système de rotation où seule une partie du personnel se rendait au travail, ce qui a limité la capacité du gouvernement à enquêter et à poursuivre les crimes de traite. La pandémie a également exacerbé les retards judiciaires qui existaient déjà en raison de l’inefficacité générale des tribunaux. Le système judiciaire a fait l’objet de plusieurs grèves engagées par les avocats, les juges, les greffiers et les procureurs.
Au cours de la période visée, le CNLTP a créé plusieurs groupes de travail intersectoriels de lutte contre la traite des personnes. Les groupes de travail identifient les délinquants, facilitent l’accès aux enquêtes sur la traite et assurent le suivi des poursuites ; ils étaient constitués de magistrats (procureurs, procureurs-adjoints, juges) et de membres du CNTLP et de la BPM. Au cours de la période visée et avec l’aide d’un donateur étranger, le gouvernement a mis à jour son Code pénal et son Code de procédure pénale, lesquels étaient complexes et obsolètes, et procédera à leur mise en œuvre sur une période de transition de deux ans. Le débat s’est poursuivi sur certaines des dispositions des nouveaux codes, tandis que l’obsolescence et la complexité des codes existants ont continué à retarder les poursuites dans les affaires de traite. Chargé de superviser l’appareil judiciaire de manière indépendante, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) n’a pas adéquatement encouragé les procureurs à engager des poursuites dans les affaires de traite. Les responsables publics se sont rarement servis de la loi contre la traite des personnes pour poursuivre et condamner les personnes accusées d’exploiter des enfants dans les services domestiques. L’absence d’un âge minimum pour travailler comme domestique et les exceptions à la loi régissant le travail des enfants ont entravé les enquêtes et les poursuites concernant la servitude domestique des mineurs.
Une série de sessions de formation a été dispensée aux responsables de la lutte contre la traite des personnes, avec le soutien en nature du gouvernement et en coopération avec des partenaires internationaux. En juin 2020, le président du Comité national de lutte contre la traite des personnes (CNTLP) et un donateur international ont co-organisé une formation sur la loi de lutte contre la traite des personnes à l’intention de neuf membres des groupes de travail du Comité. En septembre 2020, l’École de la magistrature haïtienne a formé huit membres du CNTLP sur la loi contre la traite et le nouveau Code pénal. Également en septembre 2020, une ONG et un donateur étranger ont dispensé une formation sur la loi de 2014 à 22 membres de la Police nationale d’Haïti, de l’Institut du Bien-Être Social et de Recherches et de l’Office de la protection du citoyen, donnant lieu à la formation de sous-comités régionaux de lutte contre la traite des personnes. En collaboration avec INTERPOL et un donateur étranger, en décembre 2020, le CNLTP a facilité la formation de 23 policiers sur les rôles respectifs d’INTERPOL et du service des inspecteurs de la police haïtienne dans la prévention de la traite des personnes. Le gouvernement a coopéré avec la République dominicaine pour identifier trois ressortissants haïtiens arrêtés en septembre 2020 sur le territoire dominicain pour traite des personnes et trafic de migrants. La police nationale d’Haïti a signé un protocole d’entente avec une ONG et une entreprise technologique étrangères visant à équiper les agents de police de technologies médico-légales avancées pour mieux lutter contre la traite des personnes. Financé par ces fonds étrangers, le programme équipera les forces de police de plateformes numériques conformes aux meilleures pratiques et leur dispensera une formation à la criminalistique numérique afin de permettre une meilleure collecte et analyse des informations et des éléments de preuve relatifs à la traite des personnes. Dans le cadre de ce programme, des juges d’instruction et des membres du Comité national de lutte contre la traite des personnes recevront également une formation.
PROTECTION
Le gouvernement a continué à déployer des efforts inadéquats pour identifier et protéger les victimes. Des observateurs extérieurs et des interlocuteurs du gouvernement ont noté que celui-ci ne proposait que des services limités aux victimes de la traite des personnes et qu’il dépendait largement de ses partenaires pour financer et fournir des services. Au cours de la période visée par le présent rapport, POLIFRONT et le CNLTP ont identifié un total de 16 victimes, contre 24 victimes identifiées par POLIFRONT et trois victimes identifiées par une ONG en 2019. Le CNLTP et une organisation internationale ont signalé que les 16 victimes avaient été prises en charge. Par ailleurs, POLIFRONT a orienté 21 mineurs vers l’IBESR entre mars et octobre 2020. Les autorités ont également accueilli dans un centre de transit spécial 32 enfants provenant des orphelinats de la Croix-des-Bouquets, en attendant de leur trouver un autre site d’hébergement. Un juge de paix a recueilli le témoignage des enfants pour confirmer les maltraitances subies.
En vertu de la loi contre la traite, le CNLTP était chargé d’élaborer des procédures opérationnelles normalisées visant à guider les responsables de l’identification et de la protection des victimes de traite. En septembre 2020, le CNLTP, en collaboration avec une organisation internationale et un donateur étranger, a relancé ce projet, mais les autorités n’avaient toujours pas achevé les procédures à la fin de la période visée. La loi exigeait des pouvoirs publics qu’ils fournissent des services médicaux, psychosociaux et de protection aux victimes et qu’ils créent pour celles-ci un fonds réglementé par le gouvernement, mais en l’absence persistante d’un budget national, l’État a continué à dépendre des organisations internationales et des ONG pour la fourniture de la plupart des soins. L’IBESR et la BPM ont tous deux indiqué manquer cruellement de ressources et ce, avant même la pandémie ; ils ont néanmoins continué à fournir des services limités aux victimes. L’IBESR a dispensé un suivi psychologique aux victimes de la traite et les a placées dans des centres d’accueil à court et à long terme qui bénéficiaient d’un certain soutien du gouvernement, bien qu’ils étaient principalement financés par les ONG. La BPM a également fourni certains services aux victimes, notamment une aide médicale et un suivi psychologique et, en collaboration avec le ministère de la Justice, une assistance juridique. Le ministère de la Santé publique a dispensé des services de santé gratuits, notamment une prophylaxie post-exposition au VIH, aux victimes de violences sexuelles et de la traite des personnes dans le cadre de son plan d’action contre les violences sexuelles et sexistes. Le ministère des Affaires sociales et du Travail a fourni un hébergement temporaire, des kits de repas et une aide médicale aux victimes de la traite par l’intermédiaire de l’Office national de la migration et du Fonds d’assistance économique et sociale géré par le gouvernement. Le CNLTP a indiqué que, dans certains cas, les victimes avaient bénéficié d’une aide économique et de services de protection physique, notamment des gardes, et que les autorités avaient également participé à la localisation et à l’évaluation des familles avant que les enfants ne leurs soient remis. L’IBSER gérait un seul établissement de transition qui accueillait environ 28 enfants. Les enfants restaient généralement dans cet établissement jusqu’à ce qu’ils soient placés chez un membre de leur famille, dans une famille d’accueil ou dans un orphelinat privé dûment enregistré et accrédité. L’IBESR a indiqué que les enfants n’étaient pas hébergés dans cet établissement pendant plus de 90 jours. Tous les orphelinats privés doivent être agréés, mais dans la pratique, certains ne l’étaient pas. La loi contre la traite des personnes disposait également que l’argent et les autres actifs saisis dans le cadre des enquêtes sur la traite devaient servir à financer les services aux victimes et les coûts de fonctionnement du CNLTP, mais rien n’indiquait que cela avait été le cas. Aucun organisme gouvernemental n’était globalement chargé de prendre en charge les victimes adultes de la traite des personnes et, en raison d’un manque de ressources et de l’absence d’un système de suivi, le gouvernement n’a pas été en mesure d’identifier certaines victimes.
Le gouvernement ne disposait pas d’un programme officiel d’aide aux victimes qui étaient de retour en Haïti, mais les autorités ont collaboré avec les services de transport maritime et aérien d’autres pays pour recevoir les Haïtiens de retour au pays et effectuer des vérifications pour détecter d’éventuels indicateurs de la traite, et elles ont facilité leur réintégration auprès des membres de leur famille. Avec le soutien d’une organisation internationale, le gouvernement a procédé à la vérification des potentielles victimes de traite identifiées lors des interceptions de migrants en mer et leur a dispensé des services. Les observateurs ont signalé que la procédure d’orientation des enfants victimes de traite a bien fonctionné pendant la période visée puisque les inspecteurs du travail, la police et d’autres acteurs gouvernementaux ont contacté l’IBESR et la BPM dans les cas concernés.
D’après les ONG, les protections que la loi accordait aux victimes étaient nombreuses et solides. Pour les victimes étrangères, la loi comprenait des dispositions sur le rapatriement volontaire, le droit de séjour temporaire pendant les procédures judiciaires et le droit de séjour permanent si le pays d’origine ne pouvait assurer la sécurité ou le bien-être de la victime ; le gouvernement n’a pas déclaré avoir reçu ce type de demandes, bien qu’il se soit dit prêt à utiliser ces mesures pour des victimes spécifiques identifiées pendant la période visée. La loi exigeait qu’une assistance juridique soit accordée aux victimes de la traite et protégeait celles-ci contre toute sanction pour les actes illicites que leurs trafiquants les avaient forcées à commettre. Elle autorisait les procureurs à poursuivre les auteurs même lorsque les victimes retiraient leurs plaintes ou refusaient de coopérer à l’enquête ou aux poursuites. En vertu du Code civil haïtien, les juges pouvaient ordonner des réparations civiles dans les dossiers pénaux sans la nécessité d’engager une action au civil, mais aucune décision n’a été prise à cet égard pendant la période visée. Les autorités ne disposaient pas de locaux permettant de recueillir les dépositions par vidéo, ni de locaux adaptés aux enfants pouvant être utilisés pendant les procédures judiciaires. Des experts ont fait remarquer que le manque de centres publics pouvant accueillir des enfants entravait les poursuites, car la politique de l’État consistant à rendre les enfants victimes à leurs familles rendait difficile l’identification de témoins à charge. En l’absence de procédure d’identification formelle, il se peut que certaines victimes n’aient pas été identifiées par les autorités. Il n’a pas été signalé que le gouvernement avait placé en détention ou expulsé des victimes de manière abusive. Les autorités ont temporairement interdit à deux victimes de quitter le territoire pour les contraindre à faire des déclarations et ont pris d’autres mesures susceptibles de compromettre leur sécurité. Les autorités n’ont pas procédé à la vérification des quelque 400 membres du personnel médical cubain pour déceler d’éventuels signes de traite.
PRÉVENTION
Le gouvernement a maintenu ses efforts de prévention en matière de traite des personnes. Le président a nommé les membres du Comité national de lutte contre la traite (CNLTP), parmi lesquels des représentants de neuf organismes publics, deux organisations de la société civile à titre de « conseillers », et un membre du Bureau du défenseur des droits de l’homme. Le CNLTP a activement suivi les dossiers de traite au sein du système judiciaire et a envoyé certains de ses membres en dehors de la capitale afin d’observer la manière dont étaient poursuivies les affaires de traite et de plaider pour les victimes. Le Comité a également réuni à plusieurs reprises des groupes de travail sur la traite des personnes. Créé lors de la période visée par le précédent rapport, le Secrétariat exécutif du CNLTP était chargé de la surveillance de la traite ainsi que de publier des rapports annuels en la matière, mais il n’a publié aucun rapport au cours de l’année 2020. Il a poursuivi ses efforts, en collaboration avec une organisation internationale, visant à établir une équipe spéciale de lutte contre la traite des personnes, composée de représentants des services de police, de justice et de l’IBESR, qui se concentrerait sur l’identification des cas et des victimes de traite, appuierait les enquêtes et les poursuites et accompagnerait la création de sous-comités du CNLTP dans les dix régions. En coopération avec une ONG et un donateur étranger, le CNLTP a créé, au cours de la période visée, trois de ces sous-comités régionaux, lesquels ont coordonné toutes les activités de lutte contre la traite menées par la société civile et les autorités locales dans les départements du Sud-Est, du Nord-Est et du Centre. Le gouvernement ne disposait pas d’une base de données nationale centralisée, mais a commencé à en créer une avec l’aide d’une ONG et d’un donateur étranger. Le budget national de 2020 prévoyait pour le CNLTP 20 millions de gourdes haïtiennes (soit 279 310 dollars É.U.), tandis que le budget de 2021, adopté en septembre 2020, lui allouait une somme de 24 millions de gourdes (335 170 dollars É.U.). Le CNLTP n’avait pas encore reçu de fonds de l’un ou l’autre budget, potentiellement en raison de retards administratifs ; il s’est plutôt appuyé sur des partenaires non gouvernementaux pour financer ses activités. En 2016, dernière année pour laquelle il a reçu un financement, le Comité avait obtenu 10 millions de gourdes (139 650 dollars É.-U.). Les observateurs ont indiqué que, globalement, le gouvernement sous-finançait les efforts de lutte contre la traite des personnes. Le CNLTP ne disposait pas de bureaux permanents ni de véhicules assignés pour mener à bien son travail. Un donateur étranger lui a fourni un soutien logistique, notamment en matière de transport, lors de visites sur le terrain. Par ailleurs, bien que plusieurs ministères soient membres du Comité, le CNLTP a indiqué qu’il ne recevait pas systématiquement le soutien technique des ministères et que ceux-ci manquaient de coordination. Des observateurs de la société civile ont noté que les responsabilités et les priorités de certains membres du Comité semblaient différaient des questions de la traite. Le gouvernement n’avait toujours pas créé de fonds spécial pour la traite des personnes, contrairement aux exigences de la loi de 2014 contre la traite des personnes. L’objet de ce fonds serait de soutenir les initiatives en matière de lutte contre la traite et d’aider les victimes grâce au produit de la vente des actifs saisis auprès des trafiquants.
Au cours de la période visée par le présent rapport, la BPM a organisé, à l’intention des enfants, des assemblées de sensibilisation à la lutte contre la traite des personnes. À l’occasion des 16 jours d’activisme contre la violence sexiste et du 20e anniversaire du protocole de Palerme, les pouvoirs publics ont mené des activités de sensibilisation à l’intention de diverses parties prenantes, notamment les familles, les étudiants, les prêtres vaudou, les autorités judiciaires et les organisations de la société civile, sur le lien entre les violences sexistes et la traite des personnes, en coopération avec un donateur étranger. Le gouvernement a également publié des communiqués de presse et organisé des webinaires et tables rondes à cet égard. Avec le concours d’une organisation internationale et d’un donateur étranger, la Direction de l’Immigration et de l’Émigration (DIE) a poursuivi l’installation du Système d’information et d’analyse de données sur la migration à l’aéroport du Cap-Haïtien ainsi qu’à deux postes-frontières officiels. Le système enregistre les données biométriques des voyageurs entrants et sortants aux points de passage officiels, afin de renforcer la sécurité aux frontières et de contribuer à prévenir les cas de traite. Le gouvernement a également mis en place un autre type de scanner biométrique à l’aéroport de Port-au-Prince. Dans le cadre d’un programme de sécurité aux frontières soutenu par une organisation internationale et un donateur étranger, les autorités ont organisé des formations sur la question de la traite en général, l’identification des victimes, le trafic de migrants et les lois afférentes, dispensées à une centaine de représentants de la société civile et de l’État au moins entre octobre et décembre 2020, dans quatre zones frontalières. En septembre 2020, l’École de la magistrature (EMA), une ONG et un donateur étranger ont formé les membres de l’équipe spéciale sur le contexte socioculturel entourant la traite des personnes. La BPM et une organisation internationale géraient chacune une ligne d’assistance téléphonique réservées aux appels concernant la traite. Ouverte 24h/24, la ligne de la BPM disposait d’opérateurs parlant le créole haïtien et le français et permettait au public de signaler des cas d’exploitation et de maltraitance d’enfants, notamment des situations de traite des mineurs. En 2020, la BPM a indiqué que sa ligne avait reçu 90 appels, mais n’a pas précisé combien d’entre eux concernaient des cas de traite. L’autre ligne d’assistance a reçu 101 appels au cours de la période visée, dont 28 concernaient des enfants ; cette ligne fonctionnait 24h/24 et ses opérateurs parlaient le créole haïtien, le français et l’espagnol. Le gouvernement a par ailleurs mis en place un portail de signalement en ligne, avec l’aide de plusieurs ONG. L’Office national de la migration (ONM) a diffusé des messages de dissuasion concernant les migrants clandestins sur les chaines de radio publiques et d’autres plateformes médiatiques ; il s’agit de la seule campagne de sensibilisation d’envergure menée par l’ONM pendant la période visée.
Le dysfonctionnement permanent du système d’enregistrement des actes de l’état civil en Haïti et les faiblesses du réseau consulaire en matière de délivrance de papiers d’identité exposaient de nombreux Haïtiens au risque de continuer de séjourner en République dominicaine de manière irrégulière et de se faire expulser de ce pays, ce qui est reconnu comme des facteurs de risque qui rendent les personnes plus vulnérables à la traite. Au cours de la période précédente, l’Office national d’identification (ONI) avait commencé à délivrer aux Haïtiens des cartes d’identité biométriques avec numéros d’identification uniques (NIU). En juin 2020, le gouvernement a publié un décret exigeant des citoyens qu’ils obtiennent ces nouvelles cartes. À compter du mois d’octobre 2020, les anciennes pièces d’identité n’étaient plus valables pour accéder aux services publics, accomplir ses devoirs civiques et obtenir certains postes professionnels. Le gouvernement exigeait également cette carte pour pouvoir voter aux élections, occuper un poste dans la fonction publique, s’inscrire dans un établissement scolaire, obtenir un passeport et accéder à des services financiers. Suite à la publication du décret, l’ONI a mené une campagne pour encourager tous les Haïtiens majeurs à s’inscrire pour obtenir leur nouvelle pièce d’identité. Les pouvoirs publics ont poursuivi la numérisation des actes de naissance et autres documents d’état civil et l’ONI a fusionné ses registres avec le Registre d’état civil pour améliorer la précision et l’efficacité. Au mois de mars 2021, environ 4,3 millions d’électeurs haïtiens (sur un total estimé à six millions) s’étaient inscrits pour obtenir la pièce d’identité requise.
Le gouvernement ne disposait pas d’une stratégie claire pour mener les inspections du travail. Bien que le Code du travail exige des recruteurs et entreprises qu’ils obtiennent un permis et leur interdise d’imposer des frais d’embauche, Haïti ne disposait pas de législation ou de politiques efficaces pour réglementer les recruteurs étrangers, prévenir les recrutements frauduleux et sensibiliser les potentiels travailleurs migrants sur les risques qu’ils encourent. Le gouvernement manquait d’effectifs et de ressources pour faire inspecter les lieux de travail en vue de détecter des signes indicateurs de trafic de main d’œuvre ; il a cependant formé 10 inspecteurs du travail au repérage des cas de travail forcé sur les lieux de travail. Toutefois, les autorités ont déclaré ne pas avoir pu effectuer d’inspection au cours de l’année 2020 en raison de la pandémie. Le gouvernement a signalé que le personnel de l’IBESR et les inspecteurs du travail n’étaient pas suffisamment formés en matière de travail des enfants, malgré une étude indiquant que plus de 286 000 enfants travaillaient dans le service domestique, dont certains étaient probablement exploités dans le cadre du travail forcé. Le gouvernement n’a pas communiqué ou publié de données sur les activités économiques exercées par des enfants, le travail des enfants ou les pires formes de travail des enfants. D’après une organisation internationale, une réunion de coordination du groupe de travail sur la protection des enfants dans le domaine du travail devait devait avoir lieu tous les mois entre les organismes chargés de l’application de la loi, avec la participation et le soutien technique des partenaires internationaux de la protection de l’enfance, mais elle n’a pas pu se tenir mensuellement en raison de la pandémie. Les autorités ont signalé que la coordination concernant les cas de travail des enfants s’était améliorée au cours de la période visée, mais les organisations internationales ont déclaré que la coordination était minimale en raison de la pandémie et des troubles politiques persistants. Le gouvernement n’a pas pris de mesures proactives pour empêcher que ses diplomates se rendent coupables de faits de traite, bien que la loi contre la traite prévoie des sanctions sévères à l’encontre des fonctionnaires qui s’en rendaient complices. Le gouvernement n’a pas engagé d’efforts pour réduire la demande d’actes sexuels tarifés et les autorités n’ont pris aucune mesure pour lutter contre le tourisme sexuel. La législation haïtienne n’interdisait pas explicitement aux ressortissants haïtiens de se livrer au tourisme sexuel à l’étranger.
CARACTÉRISTIQUES DE LA TRAITE DES PERSONNES
Comme indiqué au cours des cinq dernières années, les trafiquants exploitent des ressortissants haïtiens et étrangers sur le territoire national, ainsi que des Haïtiens à l’étranger. La plupart des cas de traite en Haïti impliquent des enfants contraints à travailler comme domestiques (couramment appelés les « restavèks ») qui font souvent l’objet de maltraitances physiques, travaillent sans rémunération et dont le taux de scolarisation est considérablement inférieur aux autres enfants. À la fin de la période visée par le présent rapport, les ONG estimaient qu’entre 150 000 et 300 000 enfants travaillaient dans des conditions de servitude domestique. De nombreux enfants fuient ces situations et se retrouvent à la rue, s’exposant ainsi au risque de redevenir victime de traite. Le nombre d’enfants des rues a probablement augmenté en 2020. Les « entrepreneurs d’orphelinats » gèrent des centres non agréés où les enfants sont victimes de traite. Au terme de la période visée, seuls 105 des 754 orphelinats accueillant au total 23 723 enfants étaient officiellement agréés ou en passe de le devenir, tandis que 398 d’entre eux étaient considérés comme présentant un risque élevé pour la sécurité des enfants. Environ 80 % des enfants placés en orphelinat ont au moins un parent en vie et presque tous ont d’autres membres de leur famille. En Haïti, les ressortissantes étrangères, surtout celles de nationalité dominicaine et vénézuélienne, sont particulièrement exposées au risque de devenir victimes de la traite à des fins sexuelles et de travail forcé, notamment sur les réseaux sociaux. Parmi les pratiques émergentes, citons « l’achat de fiancée » qui consiste pour les hommes à verser entre 100 et 200 dollars des États-Unis aux familles de jeunes filles âgées d’à peine 14 ans. Les trafiquants visent également les enfants habitant dans des centres d’accueil privés ou parrainés par des ONG, les enfants haïtiens travaillant dans le bâtiment, l’agriculture, la pêche, les services domestiques, la mendicité et la vente ambulante en Haïti et en République dominicaine, les déplacés internes, notamment les personnes déplacées à cause de l’ouragan Matthew et de la violence des gangs, les Haïtiens vivant aux environs de la frontière dominicaine, notamment ceux qui sont apatrides ou qui risquent de le devenir, les migrants haïtiens, y compris ceux qui se rendent en République dominicaine, aux Bahamas, aux îles Turques-et-Caïques, au Brésil, au Mexique ou aux États-Unis, ou qui en reviennent, ainsi que les jeunes LGBTQI+ qui sont souvent sans domicile et victimes de stigmatisation de la part de leur famille et de la société. Des Haïtiens, adultes et enfants, sont exposés à des risques d’embauche frauduleuse et de travail forcé, surtout en République dominicaine, dans d’autres pays des Caraïbes, en Amérique du Sud et aux États-Unis. D’après les ONG, le pédotourisme international est présent en Haïti, les principaux clients étant originaires des États-Unis et d’Europe. Bien que l’impact de la pandémie en Haïti n’ait pas été grave, la fermeture temporaire des écoles et la pression exercée par les difficultés économiques ont exacerbé la vulnérabilité de certaines personnes. De même, la pandémie a probablement augmenté les risques de traite pour environ 220 000 migrants haïtiens revenus de République dominicaine, et pour d’autres migrants haïtiens dans toute l’Amérique latine qui n’ont pas pu atteindre leur destination en raison des restrictions sanitaires. D’après une enquête réalisée en décembre 2020, de nombreux Haïtiens manquaient de connaissances de base sur la traite des personnes et sur les ressources qui existaient pour se faire aider ; 71 % des personnes interrogées étaient incapables de faire la différence entre la traite des personnes et la violence sexiste, 18 % seulement connaissaient un numéro de téléphone pour signaler un potentiel cas de traite et à peine 3 % avaient entendu parler du CNLTP.