La vitesse de propagation de la pandémie COVID-19 est plus lente en Haïti par rapport à la plupart des pays du continent. Mais, après le Ministre de la Santé de la République Dominicaine, Dr Rafael Sánchez Cárdenas, c’est la secrétaire générale du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Madame Helen La Lime qui a mis en doute les chiffres avancés par les autorités sanitaires haïtiennes en termes de cas confirmés et de décès, devant les membres du conseil de l’ONU le vendredi 19 juin 2020.
Il est avéré que le virus puisse se propager dans un espace sans avoir été détecté. Aussi les cas officiels annoncés par les systèmes de santé des différents pays à travers le monde sont-ils en général inférieurs aux cas réels. Cependant, les données recueillies par le système de santé haïtien semblent être encore plus éloignées de la réalité en raison de la capacité limitée de ce système à tester sa population. Les deux laboratoires pouvant effectuer des tests de Réaction en Chaîne par Polymérase (PCR) se trouvent dans la región métropolitaine, rendant plus complexe le dépistage en dehors de la capitale. Haïti, 2e pays le plus touché de la Caraïbe derrière la République Dominicaine et devant Cuba, a réalisé 15,645 tests, soit 1,371 par million d’habitants. Alors que la République Dominicaine et Cuba en ont réalisé respectivement 14,3 et 14,6 fois plus par million d’habitants.
Le taux de positivité rapporté en Haïti est de 44,3%, soit 1,8 et 38,6 fois plus élevé que la République Dominicaine et Cuba respectivement. Cela indique que pour une quantité de tests similaire, Haïti aurait dépisté 1,8 fois plus de testés positifs à la COVID-19 que la République Dominicaine et 40,3 fois plus que Cuba. En revanche, le taux de létalité d’Haïti est 2,0 et 1,7 fois moins élevé en comparaison avec le taux mondial et celui de Cuba respectivement. Évidemment, avec plus de cas dépistés, Haïti aurait également un taux de létalité encore plus faible.
On a observé une progression accélérée de la pandémie en Haïti depuis la deuxième semaine du mois de mai 2020 à partir des bulletins journaliers du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). Parallèlement, la clameur publique a fait écho d’une augmentation de cas de fièvre assimilables à la COVID-19 au cours du même mois de mai. En effet, la Direction d’Épidémiologie des Laboratoires et de la Recherche (DELR) a affirmé qu’à 85%, les résultats des tests de COVID-19 sont positifs pour toute personne présentant une fièvre supérieure ou égale à 38 degrés Celsius ou un antécédent de fièvre récente accompagnée de toux ou pas, de difficultés respiratoires ou pas, de courbature ou pas, ou de céphalée inexpliquée.
La courbe épidémique montre à la fois une ascension hebdomadaire continue des cas et des décès et une évolution quotidienne irrégulière, ce qui pourrait expliquer un certain retard de notification ou sous-notification dans les bilans quotidiens du MSPP. Par ailleurs, les cas confirmés et décès officiellement notifiés au cours du mois de juin représentent une augmentation de plus de 140,6% du nombre de cas confirmés et de 119,3% du nombre de décès officiellement notifiés par rapport à la période allant du 19 mars au 31 mai.
Une fois que le SRAS-CoV-2, virus responsable de la COVID-19 soit présent sur un territoire, on ne peut pas empêcher sa transmission. Mais, on peut réduire son impact. L’objectif serait de retarder les contagions autant que possible afin que la capacité de réponse du système de santé ne soit pas dépassée et que le taux de létalité soit le plus bas possible. Ainsi, Haïti a su prendre la bonne décision de réagir promptement. Cependant, son système de santé, déjà défaillant avant l’arrivée de la COVID-19, ne s’est pas suffisamment renforcé.
Le pays peine à se doter de centres médicaux pour la COVID-19. Et, le peu de centres fonctionnels sont en majorité concentrés dans la región métropolitaine, l’épicentre de l’épidémie. Le pays ne dispose que de 26 sites de prises en charge de COVID-19 et de 1011 lits pour ses 145 communes selon le Dr Nathan Zéphyrin, Coordonnateur de la cellule de crise de la COVID-19. Le recours à la médecine naturelle ou traditionnelle est encore la première option pour plus d’un. Ne serait-il-pas opportun d’évaluer l’apport réel de cette médecine dans la crise sanitaire liée à la COVID-19?
Le taux de létalité est relativement bas en Haïti (2,1%) en comparaison avec d’autres pays et nettement en dessous des prévisions basées sur les modèles de prédiction des Universités Cornell et Oxford, annonçant une hécatombe dans le scénario le plus défavorable ou d’une vingtaine de millier de morts dans le meilleur des scénarios. Bien qu’il soit possible que certains décès liés à la COVID-19 n’aient pas été identifiés, on estime que la létalité reportée par le MSPP est plutôt proche de la réalité en considérant que les morts sauteraient aux yeux s’ils étaient plus nombreux.
Est-il probable que la souche de SARS-CoV-2 présente en Haïti occasionne un plus faible pourcentage de formes graves? L’utilisation des remèdes naturelles a-t-elle eu un quelconque effet favorable? La promptitude des mesures de prévention aurait-elle été payante? Grace au taux de létalité peu élevé, Haïti se trouverait parmi les pays ayant gagné la bataille de la COVID-19 au cas où la pandémie aurait été jugulée en ce présent moment. Cependant, ce faible taux de létalité peut être éphémère, car le système de santé n’a pas encore été grandement éprouvé.
Quoiqu’il en soit, Haïti peut encore sauver les meubles. Pour y arriver, les autorités sanitaires doivent se méfier de la dangereuse tranquillité liée au nombre de cas confirmés et de décès apparemment faibles. Il convient de prendre les dispositions nécessaires pour décentraliser la réalisation des tests et augmenter le nombre de personnes testées par million d’habitants afin de différencier promptement les personnes contaminées de celles non contaminées et ainsi limiter la propagation de la maladie. Il est donc urgent de renforcer la capacité de réponse du système de santé en dotant chaque commune d’au moins une structure de prise en charge de COVID-19.
La concentration des cas dans la région métropolitaine (72,6%) offre l’opportunité d’intensifier les activités de sensibilisation et de prévention dans les autres régions du pays. Il faudra adapter les messages à la réalité des communautés et utiliser des stratégies de prévention basées sur la population (mesures de masse) complétées par des stratégies de prévention individuelle à haut risque offrant un meilleur rapport cout/efficacité dans l’utilisation des ressources.
Oméga Chéry, MD, Épidémiologiste, MPH