Une nouvelle page a été tournée dans le livre de la crise politique haïtienne ce dimanche 7 février 2016, très exactement trente ans après la chute du régime des Duvalier. A défaut d’un président élu issu des élections démocratiques, le président sortant Michel Joseph Martelly a remis l’écharpe présidentielle au président de l’Assemblée nationale, le sénateur Jocelerme Privert à l’issue d’une séance en Assemblée nationale. Ce dernier aura à la déposer au musée du Panthéon national haïtien (MUPANAH). Cette cérémonie solennelle survient après qu’un accord de sortie de crise eut été paraphé entre les représentants des pouvoirs exécutif et législatif samedi au palais national. Tandis qu’un imposant dispositif a été observé au Bicentaire (le lieu où se trouve le Parlement), la séance spéciale s’est déroulée en présence du corps diplomatique, du Core Group, du Premier ministre Evans Paul et de son cabinet ministériel notamment.
L’un des points du projet d’ordre du jour prévoit que le chef de l’Etat doit attendre le discours responsif du sénateur Privert avant de quitter la salle. Avant l’adoption dudit projet, le sénateur Andris Riché a gravi la tribune pour en solliciter une modification. L’élu de l’OPL suggère que le chef de l’Etat quitte la salle immédiatement après son discours contrairement à ce qui est dit dans le menu. Ce afin d’éviter des discussions, de la provocation, selon le parlementaire soulignant qu’on est à une période spéciale de notre histoire de peuple. L’assemblée n’a pas tenu compte de la proposition du sénateur de la Grand-Anse, a adopté l’ordre du jour tel quel, sans modification.
Une délégation de trois parlementaires, à savoir le sénateur Ronald Larèche et les députés Gracia Delva et Caleb Desrameaux, a été formée pour aller chercher le président Martelly afin de l’introduire dans l’hémicycle du Parlement. Bien avant, le sénateur du Sud Jean-Marie Salomon qui siége au bureau en l’absence de son collègue
de l’Ouest Steven I. Benoit a fait la lecture de l’accord de sortie de crise signé entre les deux pouvoirs, quelques heures avant le départ de Martelly du pouvoir.
Dans son adresse à la Nation, lue à la tribune de l’auguste assemblée des parlementaires, le président sortant a reconnu d’emblée que « son mandat touche à sa fin ce 7 février 2016. » Michel Martelly dit s’accrocher à l’article 134-1 de la Constitution de 1987 amendée stipulant que la durée du mandat présidentiel est de cinq ans. « S’il est vrai que mon mandat a démarré le 14 mai 2011, en démocrate convaincu, respectueux des lois et de la Constitution de mon pays, je laisse la magistrature suprême de l’Etat pour contribuer au retour à la normalité constitutionnelle », a-t-il lâché en présence de 23 sénateurs, 86 députés et des invités triés sur le volet.
Au terme de son mandat présidentiel, il affirme avoir mené des batailles sans merci pour le peuple haïtien avec toute sa bonne foi. « Je vous remercie, vous qui m’avez fait le grand honneur de me confier la plus haute magistrature de l’Etat pour conduire sa destiné. Je veux vous exprimer toute ma reconnaissance et vous dire de continuer de croire au changement pour replacer le pays dans le concert des nations, d’espérer sans relâche, tèt kalé », a continué l’ex-locataire du palais national.
Sans la moindre gêne, le leader Tèt kale dit quitter le pouvoir avec le sentiment du devoir accompli, avec la ferme conviction « que les avatars de l’histoire ne pourront pas avoir raison de ces projets d’avenir ». « La relève est partout dans le pays, les yeux grand ouverts, le front haut pour refuser le destin de fatalité dans lequel nos guerres fratricides pour le pouvoir l’ont piégé, a dit Martelly comme pour taper l’opposition politique qui a obstrué son projet. La relève est là dans nos écoles, nos universités, nos montagnes, nos quartiers, nos villes et notre diaspora pour organiser la vigilance, condamner sans l’ignorer le passé au passé et envisager l’avenir avec fourgue et détermination… »
Dans son discours d’adieu, le chef de l’Etat sortant a remercié ses collaborateurs et sa famille qui l’ont accompagné durant son quinquennat. Il dit espérer que l’histoire retiendra qu’il a apporté sa pierre à l’édifice d’une Haïti plus belle. « Elle se rappellera aussi de mes échecs que j’assume », soutient Michel Martelly, regrettant néanmoins que le processus électoral n’a pu être bouclé sous son règne. Il a par ailleurs affirmé qu’il est prêt à répondre par devant le tribunal de l’histoire. « Malgré que beaucoup de personnes ont toujours choisi le mensonge, le dilatoire et la démagogie pour gérer le présent, l’histoire a toujours choisi le recul pour gérer la vérité. C’est pourquoi je peux dire que je suis prêt à répondre devant le tribunal de l’histoire », a argué le président-musicien, soulignant qu’il part avec le sentiment du devoir bien fait. « Mais le travail n’est pas encore terminé. Il reste encore beaucoup à faire. Haïti peut continuer de compter sur moi. Je ne l’abandonnerai pas », a ajouté Martelly comme s’il annonçait qu’il se met déjà en réserve de la République affirme que les deux chefs du pouvoir législatif lui ont donné la garantie qu’en son absence le pays ne va pas plonger dans le chaos. Martelly dit croire que l’accord signé facilitera au pays de passer l’impasse. « Ce 7 février est un jour spécial dans l’histoire du pays », croit-il savoir, indiquant que Martelly passe, mais Haïti demeurera pour toujours.
Le président du Senat, Jocelerme Privert n’a pas pris de temps pour constater l’existence du vide présidentiel tout en recevant l’écharpe des mains du président sortant. Dans son discours de circonstance, le sénateur Privert dit prendre acte des déclarations du président Martelly et déclare avoir constaté de fait un vide présidentiel et le dysfonctionnement du pouvoir exécutif. M. Privert a souligné que ce 7 février marque un tournant dans notre histoire. Il invite tout un chacun à un examen de conscience sans concession ni faux-fuyant. « Cette cérémonie se situe dans un contexte ou toute la Nation nous observe », a martelé l’élu des Nippes, reconnaissant toutefois que la population ne leur pas donné une carte blanche.
Le parlementaire rappelle au chef de l’Etat sortant que « le choix démocratique fait par le Peuple haïtien est irréversible». « Je dois vous rappeler que c’est au prix de grand sacrifice que notre peuple parvient aujourd’hui à s’inscrire dans la modernité. Chaque doit respecter ce choix historique…». Selon lui, ce départ ne va pas arrêter la marche de l’histoire. Car, les roues de la République continueront inexorablement de tourner en attendant l’élection et l’installation du nouveau président provisoire élu par l’Assemblée nationale.
Pour combler le vide présidentiel, le sénateur Jocelerme Privert a annoncé que le Parlement reçoit dès ce lundi les dossiers de candidature pour le poste. « Une commission bicamérale sera instamment constituer pour étudier les différents dossiers de candidature avant passer à l’élection du nouveau président provisoire », a-t-il conclu, appelant au calme, à une trêve politique en vue de la poursuite du processus électoral.
Entre-temps, l’Assemblée nationale a décrété la permanence dès ce dimanche. Tous les yeux sont aujourd’hui rivés sur le Parlement. Tandis que la mobilisation des rues persiste et l’opposition dénonce l’accord, les parlementaires se préparent à élire au second degré le remplaçant de Michel Martelly pour diriger la transition pendant 120 jours.