Pierre-Duly Brutus risque de casquer, la chancellerie n’incarne pas la vertu en termes d’administration. Les frais de carburant, de téléphone, de missions sans rapports, d’experts stériles ont gonflé. La CSC/CA cherche les notes autorisant les virements de quelque 11 millions de dollars sur le compte des passeports faits à l’étranger et trouve en revanche des véhicules affectés à des ex-parlementaires, des préposés à la sécurité de l’ex-Premier ministre Laurent Salvador Lamothe et des particuliers qui se dorent la pilule aux frais de l’Etat.
Les vérificateurs de la CSC/CA, dans le rapport d’audit de la gestion de Pierre-Duly Brutus, ministre des Affaires étrangères d’avril 2014 à mars 2015, ont constaté des « irrégularités » au niveau de certaines transactions, a appris le journal. Pour justifier sa « conclusion générale », la commission évoque des dépenses irrégulièrement engagées, l’absence de rapport de gestion du carburant, l’absence de rapport de missions. En gros, a confié une source au journal, « ces faits concernent des transactions directes avec le Trésor public pour un montant de 34, 434,442.52 gourdes ».
Les vérificateurs ont aussi mis le petit doigt sur 1 900 000 gourdes versées à des « consultants » qui n’ont produit aucun rapport. « Parmi ces consultants, il y a Romeo Halloune, un proche du président Martelly qui recevait mensuellement 115 000 gourdes », a confié une source. Selon le rapport de la CSC/CA, des véhicules du ministère des Affaires étrangères sont entre les mains de personnes qui ne remplissent aucune fonction « essentielle » à la chancellerie.
Par exemple, une Nissan Patrol blanc et noir SE 04174 est gardée par un membre de la sécurité de Laurent Lamothe, après que ce dernier a démissionné de son poste fin 2014. Une autre Nissan Patrol blanche SE 04180 est utilisée par Ralph Théano, ex-ministre chargé des relations avec le Parlement. L’ex-sénateur Wenceswclass Lambert, ex-président de la commission des Affaires étrangères au Sénat de la République, utilise une Hyundai Tucson noire SE 04 231. L’ex-député Descollines Abel a en sa possession une Nissan Patrol grise SE 04973, a révélé la CSC/CA, qui s’est intéressée à un compte en dollars américains 15 303 438 à la Citi Bank dénommé « Money Market/Consulate of Haiti Account » dans lequel on reçoit les recettes générées essentiellement par l’émission de passeports en faveur de ressortissants haïtiens à l’étranger.
Entre 2013 et 2015, le compte avait un solde de 13, 063,521.92 dollars américains. La balance, au mois de mars 2015, est de 1,539, 849.29 après des sorties de fonds totalisant 11, 523,673.63 américains pour des virements respectifs de 10, 008,021.99 pour le compte du Trésor public et de 1,515, 651.64 dollars américains pour le ministère des Affaires étrangères, selon le rapport des véricateurs. Mais, ces vérificateurs ont souligné que « la commission n’a pas vérifié les notes de virements de fonds ordonnés tant au profit du MEF qu’au profit du MAE vu qu’aucun document du genre ne lui a été soumis ».
L’ex-chancelier réagit
Pierre-Duly Brutus, contacté par le journal, « étonné », a indiqué n’avoir pas obtenu copie du rapport de la CSC/CA sur sa gestion au MAE. « Je n’ai pas le rapport », a-t-il dit avant de répondre de manière très décontractée sur les irrégularités évoquées. « Avant, on utilisait l’argent des passeports pour payer des salaires et effectuer d’autres dépenses », a confié l’ex-chancelier, qui explicite une mesure prise à ce sujet. « J’avais écrit une lettre à l’ambassadeur d’Haïti à Washington pour lui dire d’acheminer systématiquement l’argent sur le compte des passeports au ministère des Finances. Donc, c’est fait et les virements allaient depuis vers le ministère des Finances. Je ne peux vous dire plus que cela », a confié Pierre-Duly Brutus, qui s’est montré dubitatif par rapport aux irrégularités que les vérificateurs disent avoir constatées sur des transactions avec le Trésor public de plus de 34 millions de gourdes.
« C’est impossible. Cela ne peut pas s’être passé pendant que j’étais là », a déclaré l’ex-chancelier, revenant sur des mesures qu’il a prises pour assainir la gestion du MAE. Quand il est arrivé en avril 2014, Pierre-Duly Brutus soutient avoir cassé des contrats avec des fournisseurs de carburant pour que le ministère reste dans le budget de 800 000 gourdes de consommation mensuelle de carburant et non dans les 2.5 millions de gourdes à son entrée en poste. La dette pour la Digicel était de 14 millions de gourdes parce que plein de gens avaient des téléphones, a expliqué Pierre-Duly Brutus, soulignant avoir tout fait pour faire passer cette dette à 1 million de gourdes. Il affirme aussi être au courant du « problème » des véhicules mis à la disposition de particuliers bien avant son arrivée au MAE.
« Quand je suis arrivé, il y avait un désordre », a confié Pierre-Duly Brutus qui confirme effectivement que des véhicules de MAE sont entre les mains de l’ex-sénateur Wencesclas Lambert, de l’ex-député Descollines Abel et d’un préposé à la sécurité de l’ex-Premier ministre Laurent Lamothe. Il dit avoir passé des instructions restées lettres mortes pour récupérer ces véhicules. Les concernés ont refusé de les rapporter, a expliqué Pierre-Duly Brutus, pour qui, se référant à ce qu’on lui a dit, « sa décharge est positive ». « Je n’ai aucun problème dans ma gestion pendant que j’étais au MAE », a affirmé l’ex-chancelier, candidat à la prochaine présidentielle.
Contactée par le journal, une source a confié, en ce qui concerne le compte Citi Bank en dollars américains, qu’il s’agit d’un compte du Trésor public. Elle confie son étonnement que les vérificateurs aient affirmé n’avoir pas les notes de virement pour 11, 523,673.63 dollars américains. En principe, dans le cadre des réunions de trésorerie, le MEF et la BRH sont censés avoir des détails sur l’état du compte, a expliqué cette source, qui reconnaît que des virements ont été effectués dans le passé en dehors des instructions du MEF. « Peut-être pas sous Duly et pas sous Altidor qui est un ambassadeur très méticuleux », a confié cette source gouvernementale.
Pour le moment, il serait utile de savoir qui a émis ces notes et effectué ces virements. « Il y a peut-être un détail, mais les vérificateurs de la CSC/CA, trop pressés, n’ont pas cherché où est le véritable lièvre », a caricaturé cette source. C’est après le coup d’Etat de 1991, pour permettre au gouvernement constitutionnel en exil à Washington de disposer de ressources financières, que l’ambassade d’Haïti à Washington s’est mise à émettre des passeports.